LES GARDE-CHAMPETRES

De nos jours, qui se souvient de ce personnage bien souvent haut en couleur et maintenant disparu de bon nombre de nos communes ?

Rappelons qu’il était officier de police judiciaire, chargé de surveiller les récoltes, les propriétés rurales de toutes espèces et de constater les délits qui pouvaient s’y commettre, ainsi que les contraventions aux règlements de la police municipale.

Avant la Révolution de 1789, les terres nobles, celles tenues en fief, indépendamment de la barrière infranchissable que le droit exclusif de chasse élevait au profit des seigneurs, entre leurs domaines et les terres du simple habitant des campagnes, avaient leurs gardes particuliers. Les terres roturières et les propriétés communales n’avaient généralement, pour les protéger contre le maraudage et les déprédations de toute nature, que la vigilance presque toujours impuissante de leurs possesseurs eux-mêmes. Il y avait une police pour les villes, mais aucune pour les campagnes. Le Code Rural du 6 octobre 1791, l’un des derniers actes de l’Assemblée Constituante, mettait fin à cet état de fait. Sous la direction des juges de paix et sous la surveillance des officiers municipaux, il était nommé par le conseil de la commune, et ne pouvait être changé ou destitué que dans la même forme. Il était payé sur les amendes et, en cas d’insuffisance, la somme qui manquait devait être répartie sur la contribution foncière.

Cependant, l’institution du garde-champêtre était consacrée par la loi du 20 messidor an III (8 juillet 1795) qui précisait qu’il y aurait au moins un garde par commune, et que la municipalité serait juge de la nécessité qu’il y en ait davantage. Il était nommé par l’administration du district, c’est-à-dire le Sous-préfet, sur présentation du conseil municipal de la commune.

Restitué au Maire, par ordonnance royale du 20 novembre 1820, le droit de nomination du garde-champêtre était maintenu en l’Etat par la loi du 18 juillet 1837, sauf l’approbation du conseil municipal. Le Maire pouvait le suspendre de ses fonctions, mais seul le Préfet pouvait le révoquer.

Le décret-loi du 25 mars 1852, sur la décentralisation, conférait au Préfet le droit de nommer le garde-champêtre, sur présentation des chefs de service, tout ceci pour éviter autant que possible la nomination d’une personne n’ayant pas toujours les qualités physiques et morales, ni l’indépendance de position pouvant garantir une égale répression des délits, quels qu’en étaient les auteurs. Ainsi, étaient aussi évités les problèmes qui résultaient souvent des divergences d’avis entre le Maire et le conseil municipal, sur le choix des candidats. Bien que le Préfet pouvait également fixer le taux du salaire et inscrire d’office au budget communal la somme nécessaire pour l’acquitter, en cas de refus de la part du conseil municipal, il était reconnu que l’autorité départementale ne devait user de ses droits qu’avec beaucoup de ménagement et de circonspection, après avoir épuiser tous les moyens de persuasion.

Suivant la loi du 6 octobre 1791, pour être garde-champêtre, il fallait avoir 25 ans révolus, être d’une moralité irréprochable, posséder la fermeté du caractère et les connaissances premières requises pour rédiger convenablement un rapport. Nous verrons plus loin que certains de nos gardes-champêtres ont pourtant fait quelques entorses à ces conditions ! Un arrêté gouvernemental du 25 fructidor an IX (12 septembre 1801) prescrivait de choisir les gardes-champêtres parmi les vétérans et autres anciens militaires. A Champeaux, nous verrons que cette prescription a quelques fois été suivie.

Avant d’entrer en fonction, le garde-champêtre devait prêter le serment professionnel devant le juge de paix, seul compétent pour le recevoir. La loi du 31 août 1830 le remplaçait par un serment politique qui était aboli par le décret du 1er mars 1848, puis rétabli par la Constitution de 1852, et de nouveau aboli par un décret du 5 septembre 1870.

Toujours suivant la loi du 6 octobre 1791, il devait être muni, dans l’exercice de ses fonctions, d’une plaque de métal ou d’étoffe où étaient inscrits ces mots : La Loi, le nom de la municipalité et le sien. Le port des armes était facultatif et leur acquisition restait à la charge de la commune.

En plus des rôles d’officier de police judiciaire et d’agent de la force publique, le garde-champêtre était aussi agent de l’administration municipale dont il devait faire exécuter les règlements et instructions. Bien qu’il ne devait être ni le serviteur, ni le domestique de la commune, mais un véritable fonctionnaire, nous verrons plus loin, qu’il lui était parfois demandé bien d’autres choses à faire dans la commune, confirmant le fait que plus d’un Maire était disposé à considérer le garde-champêtre comme un agent à sa discrétion ou un salarié complaisant duquel on pouvait tout exiger, sans avoir jamais à craindre un refus. Là aussi, nous verrons qu’à Champeaux, cette tendance se vérifiait parfois.

Des lois spéciales lui donnaient d’autres pouvoirs. Ainsi, le décret du 16 décembre 1811 lui donnait le droit de constater les contraventions en matière de grande voirie. La loi du 28 avril 1816 étendait ses prérogatives concernant le colportage frauduleux des tabacs et la fraude des cartes à jouer. Notons chronologiquement, sans plus les détailler, quelques-unes de ses autres attributions : 1817, fabriques clandestines de sel ; 1822, assistance en cas d’urgence des intendants et commissaires sanitaires ; 1828, voitures publiques ; 1829, pêche ; 1845, police des chemins de fer ; 1852, affichage et 1871, timbre.

La négligence du garde-champêtre à constater un délit dans les 24 heures pouvait l’exposer à une action en dommages-intérêts, suivant l’article 7 de la loi du 6 octobre 1791.

Le premier garde-champêtre nommé à Champeaux, entré en fonction le 15 germinal an IV (4 avril 1796), était Jean-Baptiste PIERRET âgé d’environ 32 ans, natif d’Andrezel, époux de Marie Elizabeth CARRE, antérieurement charretier. Il était payé ” 5 septiers de blé mesure de Melun, comble, estimé à 22 livres (1), perçu en 2 fois, plus 5 sous en valeur métallique ou assignats, par arpent d’emblavures(2) “.

Paul PORTANT, 45 ans, né à Chailly-en-Bière, cultivateur, époux de Margueritte LEJEUNE, lui succédait le 13 mars 1806, avec un traitement annuel de 425 francs (3). Le 17 mai 1826, il était mentionné ” l’inertie du Sr PORTANT garde-champêtre à remplir les obligations qui lui sont imposées. Le Conseil considérant qu’en effet les plaintes se multiplient chaque jour contre ce fonctionnaire, qu’en vain on a tenté tous les moyens pour le ramener à ses devoirs, que non seulement il persiste dans son indolence en ne constatant aucun délit que même il encourage en quelque sorte les délinquants par son inactivité et assurés qu’ils sont de l’impunité, propose la révocation du Sr PORTANT des fonctions de garde-champêtre de la Commune de Champeaux “.

Le 28 mai 1826, était nommé André THIEBAUT, environ 49 ans, natif de Blandy-les-Tours, ancien militaire estropié de la main gauche, époux de Marie Marguerite Euphrasie GRESSIER. Il occupait cette fonction jusqu’au moment de son décès le 31 juillet 1836.

François Alexandre DRIARD, environ 55 ans, né à Guercheville, époux de Geneviève Margueritte MERLET, et ancien cultivateur domicilié à Crisenoy, était présenté le 21 août 1836. En raison de nombreuses plaintes à son encontre, il était obligé de remettre sa démission le 7 mars 1843, pour son manque d’activité et sa négligence habituelle, après avoir dû cesser ses fonctions, avec perte de traitement du 8 au 22 février de la même année, pour avoir mal accueilli les observations et répondu avec emportement des choses déplacées et souvent malhonnêtes. Le 26 août 1839, il avait reçu le renfort d’un garde-champêtre adjoint en la personne d’Adrien FONTAINE, 38 ans, natif de Bonfruit, et époux de Catherine Victoire SCIEUX. Ce dernier remplissait cette fonction d’auxiliaire temporaire, gratuitement, au-delà de septembre 1848.

Le 17 mars 1843, il était fait mention d’un arrêté du Maire, portant nomination de Jean-François PETIT, 56 ans, époux de Geneviève Félicité MENERET, manouvrier natif de Champeaux, ancien maréchal des logis ayant fait les campagnes d’Allemagne en 1809 et de Russie en 1813. Le 19 mars, le conseil municipal refusait cette nomination.

Le 28 mars, était acceptée celle de Pierre Charles Marie Valère LANOUE, également âgé de 56 ans, époux de Marie Elisabeth DRION, maçon né à Champeaux, ancien caporal ayant fait les campagnes de Pologne, d’Espagne de 1808 à 1813, puis de France. Ces sept années de campagnes lui valaient d’être médaillé de Sainte Hélène (4) et pensionné par l’Etat à compter de fin 1857-début 1858. En 1859, suite aux plaintes réitérées à M. le Maire, il devait cesser ses fonctions à compter du 1er avril, date avant laquelle il devait avoir donné sa démission pour ne pas encourir de révocation.

Thomas Nicolas ASTANGE, âgé d’environ 38 ans en octobre 1861, lui succédait jusqu’au-delà de décembre 1866.

Avant juin 1868, la fonction était assurée par Louis Barthélemy Joseph GILBERT, environ 29 ans, époux de Aglaée Aminthe POIRIER. En 1873, son traitement s’élevait à 800 francs (5) plus 100 francs de gratification. En 1883, le traitement et la gratification restaient inchangés. Sa présence est vérifiée au moins jusqu’en mai 1880.

A cette fonction, la présence de Désiré TOUSSAINT, âgé de 31 ans, natif de Champeaux, est notée en novembre 1884 et mai 1885. Ensuite, il était dit cultivateur.

Son successeur, avant mars 1887, était Ernest Jules GUERLET, né en 1860 à Blandy-les-Tours, et époux de Eugénie Augustine Emilie VIDARD de SAINT CLAIR. Toujours en fonction, il décédait le 8 juin 1898.

Auguste Léon LEJEUNE, 36 ans, époux de Angèle Françoise LASSIAZ, prenait la relève jusqu’au début de septembre 1900, époque où il était révoqué pour enivrement continuel.

En 1898, était également en fonction un garde-champêtre adjoint en la personne de Adolphe Philippe BOIS, né en 1840 à Pécy, époux de Félicie BULLET.

En novembre 1900, le nouveau garde champêtre était Eugène ROCHER, âgé de 28 ans, qui restait en fonction jusqu’en mars 1914 où il était alors nommé à Ozouer-le-Repos. En 1903, son traitement annuel était de 1020 francs (6). Il était entre autre chargé de manœuvrer le système d’adduction d’eau !

Victor Désiré Cléophas CHAUVIN, né en 1857 à Saint Arnoult-des-Bois (28), prenait sa succession. Veuf de Marie Françoise CHIBON, il se remariait en septembre 1921, à Champeaux, avec Ernestine Louise JEAN. En juillet 1914, son traitement annuel était porté à 1200 francs (7). Pour cette somme, étaient compris ” le tambour, l’affichage, le balayage de la mairie, le remontage de l’horloge, le balayage du lavoir, l’échardonnage “. Il devait aussi fournir ses outils et ses timbres de retraite ouvrière. Traitement annuel qui était augmenté en juin 1919, pour atteindre 2520 francs, en raison d’un gros travail fourni pour le remontage de la colonne de pompage du puits, avant d’être porté à 4380 francs en juillet 1920 (8). Il était élu maire le 15 novembre 1925, et ce jusqu’au 9 février 1926.

Venait ensuite Edmond Casimir PIERRE, né en 1877 à Marigny-en-Orxois (02), gendre de Pierre Henry PAYEN, et remarié avec Berthe Endoxie BABRON. Il décédait en exercice, en janvier 1932.

A compter du 1er juillet 1937, le traitement annuel du garde-champêtre était de 6000 francs (9), avant d’atteindre 6600 francs en septembre 1938, 7800 francs en mars 1941, 10500 francs en septembre 1941, 12600 francs en janvier 1944 (10).

Urbain GALLOT, en fonction en février 1945, voyait son salaire annuel atteindre 37800 francs (11). En juillet de la même année, son cahier des charges était le suivant :

  • Chaque jour, il doit faire une tournée dans les champs pour empêcher le maraudage.
  • Une fois par semaine, il fera une tournée entre 21 et 24 heures ; une fois entre 4 et 7 heures, il surveillera particulièrement les poulaillers, clapiers, arbres fruitiers et les monuments publics.
  • Chaque jour, triage des ordures au dépôt, et une fois par semaine il brûle ce qui peut l’être.
  • Le mardi et le samedi, nettoyage du pays, balayage des rues et caniveaux.
  • Vendredi après-midi, balayage de la salle de mairie et de l’escalier.
  • Nettoyage de la salle avant chaque réunion et après chaque distribution.
  • Deux fois l’an (avant Pâques et en septembre), lessivage du plancher de la mairie et de l’escalier.
  • Tous les matins, il se rend chez le Maire, prend le courrier et le porte au secrétariat. En début d’après-midi, il distribue les papiers remis par le Maire ou le secrétaire aux habitants.
  • En principe, il se rend à Mormant tous les lundi et jeudi matin pour le service de la mairie.
  • Il assiste le secrétaire lors des distributions de cartes (alimentation, textile, charbon, etc).
  • Il procède aux avis et publications par son de caisse et au collage des ” officiels “.
  • Il doit veiller à ce que les bacs à eau soient toujours pleins ; tous les ans, au début janvier, il relève les compteurs d’eau.
  • Il doit veiller au bon fonctionnement de la pendule du clocher.
  • Il a droit à un jour de congé hebdomadaire (en principe le dimanche, sauf nécessité du service), et à 12 jours ouvrables (3 dimanches) de congés payés par an, qu’il prendra en une seule fois.
  • Il est logé gratuitement par la commune (à l’exclusion de ses frais d’eau et d’électricité : à sa charge, ainsi que le chauffage).

Pour la petite histoire, et en référence à la 2e clause de ce cahier des charges, il faut rappeler que c’est lors de la réunion de conseil municipal du 22 mai 1945 qu’était décidée la suppression des cages à poules et clapiers sur les trottoirs !

Jean Marie PERSON, retraité SNCF, né en 1880 à Loguivy Plougras (22) et époux de Emilie Suzanne CADORET, était nommé le 25 novembre 1946. Il démissionnait le 31 décembre 1948, pour problème de santé et décédait en février 1951.

Le dernier garde-champêtre à avoir exercé à Champeaux, était Georges COURIOL. En mars 1958, il était aussi préposé aux douches publiques et ce au moins jusqu’en novembre 1964.

Michel MORCHOISNE

(1) : 110 livres de 1796 valant environ 330 euros ; le sou étant le 20e de la livre.
(2) : terres ensemencées en blé ou autres céréales.
(3) : 425 francs de 1806 valant environ 1296 euros.
(4) : médaille crée par décret du 12 août 1857, à l’instigation de Napoléon III qui désirait qu’une marque d’honneur soit attribuée aux anciens combattants de la République et de l’Empire.
(5) : 800 francs de 1873 valant environ 3560 euros.
(6) : 1020 francs de 1903 valant environ 3366 euros.
(7) : 1200 francs de 1914 valant environ 3480 euros.
(8) : 4380 francs de 1920 valant environ 3592 euros.
(9) : 6000 francs de 1937 valant environ 2940 euros.
(10) : 12600 francs de 1944 valant environ 2016 euros.
(11) : 37800 francs de 1945 valant environ 4158 euros.

Sources : Répertoire général d’administration municipale et départementale (tome second) de 1873, comptes-rendus de conseils municipaux, registres d’état civil.
Photos : Merci à MM. Fernand PAPILLON et Marc RIVIERE.